Etre fier de ses origines. La notion a-t-elle encore du sens ?
La succession des générations, la complexité de la réflexion sur l’intégration ou l’assimilation, la faiblesse de la culture polonaise dans la vie et l’histoire de l’immigration, font que le sentiment de fierté d’être d’origine polonaise peut s’effacer lentement. Il peut disparaître s’il a existé. Le problème se pose pour toutes les immigrations, massives ou individuelles, anciennes ou récentes. Encore faut-il que l’on juge ce sentiment comme étant intéressant, voire utile à l’épanouissement personnel et au développement des relations internationales.
Tous les immigrés ne pensaient pas comme Charles Aznavour qui déclarait qu’il était 100% français et 100% arménien, et fier de l’être. Dès la 2ème génération, quelques immigrés, Polonais d’origine, en petit nombre il est vrai, décidaient de rompre avec leurs racines, autant qu’il était possible de le faire, de s’assimiler complètement, renonçant à leur langue maternelle, à toute appartenance à la communauté polonaise, se marginalisant d’ailleurs, se revendiquant pleinement français. Des noms sans « iak », « ski » ou « szcz » pouvaient parfois faciliter leur démarche. Certains étaient tentés de franciser leur nom. Leurs arguments étaient connus, allant de la « reconnaissance due à la France qui les avait accueillis en toute amitié et générosité », à la certitude que leur vie et celle de leurs enfants seraient plus faciles s’ils étaient naturalisés, éloignés des pratiques religieuses et sociales de la communauté, s’identifiant aux Français de souche, si tant est que cette notion pouvait être réelle dans un pays où le brassage des origines était tellement fort, sans même compter les mouvements de population entre les provinces françaises dont les habitants étaient plus considérés comme bretons, basques ou auvergnats que comme français. J’ai moi-même, étant de la 3ème génération, connu une famille qui recevait le curé polonais à sa table et participait à la vie de la communauté, mais « mettait » ses enfants au catéchisme français, « dans leur intérêt ».
On ne peut pas juger sommairement de telles situations, car, comme il existait des formes de discrimination persistantes, les enfants des « sales polaks » pouvaient être gênés, blessés par des comportements que l’on pourrait qualifier de racistes. J’ai connu des formes de racisme anti-polak que certains cherchent aujourd’hui à minimiser ou à oublier, adoptant des images d’Epinal qui n’ont rien à voir avec les réalités. Je plaisante souvent avec la notion d’image d’Epinal plutôt que de Toul, ville voisine, gare d’accueil des wagons d’immigrés polonais dans des conditions révoltantes. Les psychologues savent bien que pour les enfants victimes de discrimination, la vie de la communauté pouvait être un refuge
Pour approfondir la réflexion, il convient de rappeler que l’attachement à la cuisine de babcia et que la participation, même très active, aux activités associatives et religieuses de la Polonia, ne sont pas du tout des gages de fierté d’être d’origine polonaise. Dans ces situations, on est dans l’entre soi, il peut y avoir du plaisir, du bonheur, de l’émotion, on peut être fier de soi en participant, mais ce n’est pas fier d’être d’origine polonaise. On peut l’être si l’on chante ou si l’on danse en groupe pour des spectacles s’adressant à des publics français ou autres, mais pas quand on reste dans l’entre nous.
Cette notion de fierté mérite donc une réflexion fondée sur des analyses, sur des prises de conscience, sur des moments d’autoscopie. Elle le mérite d’autant plus qu’elle pourrait contribuer à faire évoluer les pratiques des associations « polonaises ». Sortir de l’éphémère et de l’entre soi pour partager les richesses culturelles de la Pologne et élever le niveau des savoirs et de la réflexion de ses membres.
Etre fier de ses origines permet d'accepter et d'affirmer sa différence. Nous vivons dans un monde aujourd'hui qui a besoin d'ouverture d'esprit et de combattre toute volonté d'uniformisation culturelle. En étant fier de ses origines, on n'oublie pas qui on est et on invite les autres au voyage.
Je suis fier d’être d’origine polonaise quand on parle de Chopin, Mickiewicz, Marie Curie, Korczak, Wajda, Szymborska, Kantor, Wieniawski, Matejko, Gombrowicz, de la chanteuse Halina Frackowiak, de la place de la Pologne dans l’Europe, etc, dont je n’avais jamais entendu parler dans ma famille, à l’église, à l’école, dans la vie culturelle franco-française. Et même dans ma jeunesse. Il a fallu que je découvre tout. Mon père, ouvrier du jour aux mines, ma mère, ménagère, n’avaient pas été à l’école, et leur priorité, c’était la réussite de leurs 3 enfants
Je suis fier (*)
Et vous ?
La notion de fierté de ses origines polak a-t-elle un sens pour vous ?
Pierre Frackowiak. Le 11 janvier 2024
(*) ce qui ne veut pas dire que je suis fier de notre Polonia des Hauts de France. C’est tout à fait autre chose, hélas ! Si seulement nos associations nous donnaient des raisons d’être fiers de nos origines ! Quand on voit le bilan de trois années de célébration, le coût d’un congrès sans lendemain (argent public utilisé dans l’opacité), l’incapacité de concrétiser un vague slogan « razem » (ensemble) avec une liste impressionnante d’absences notoires, l’impossibilité de proposer un grand projet collectif avec une réelle perspective d’avenir, etc, il n’y a pas de quoi être fier. Voir le site du Collectif Polonia des Hauts de France, à l’arrêt depuis mi-octobre, et la pauvreté du facebook…..Si les autorités consulaires et les milieux conservateurs sont ravis, le centenaire n’aura été qu’un grand ratage (comme la Maison de la Polonia naguère) qui indique peut-être même la fin du Collectif, s’il ne s’ouvre pas, s’il ne démocratise pas ses pratiques,, s’il ne porte pas un grand projet collectif, intelligent et mobilisateur !
Voici une contribution très intéressante de Françoise RENAUD (nom de plume Diane DUANER)
Je vous livre quelques réflexions personnelles à la suite du récent article sur votre blog « Polonia au futur », débat fort intéressant à plusieurs égards, soulevant d’une part le concept d’être « fier de ses origines polonaises », et d’autre part l’avenir de cette Polonia. (les deux questions étant finalement assez liées l’une à l’autre).
- Sur la fierté d’avoir des origines polonaises : Je suis moi-même une « Deuxième génération ». Ma mère, arrivée en France en 1929 – non pas dans le bassin houiller du Nord mais comme ouvrière agricole en région Champagne – m’a transmis un amour indestructible pour son pays natal que jamais elle n’avait oublié. (alors que mon père, venant de la Posnanie, était totalement détaché de toute polonité… jusqu’à un brusque revirement inattendu, durant ses toutes dernières années avant de mourir.) Par leur exemple et de multiples autres exemples de descendants de Polonais rencontrés au cours de ma vie, j’ai pu constater que ceux qui se veulent ou se prétendent totalement indifférents à leurs racines polonaises ne le sont pas autant qu’ils le croient. Ainsi, ceux qui, en proclamant qu’ils sont dorénavant « bien français », ont décidé, comme vous l’écrivez au début de votre article, de tourner le dos à leurs origines, ont parfois un déclic qui les font renouer avec la Pologne. Je ne crois pas, pour ma part, que c’est la crainte d’être rejetés ou traités de « sales polaks » qui leur a - temporairement ou pour toute leur vie – privés de tout intérêt pour leurs racines. (pour ma part, je n’ai d’ailleurs jamais entendu de Français insulter ou discriminer des Polonais ou leurs descendants !). Par l’exemple de certains de mes proches de ma génération, j’ai pu constater que c’est plutôt, dans les années soixante et suivantes (qui correspondent à leur jeunesse), le formidable contraste matériel à l’avantage de la France, comparé à l’image - surtout économique - dégradée, pitoyable, de la Pologne, qui leur faisait derechef tourner le dos à cette Pologne, alors communiste, terne et arriérée. (j’ai pu remarquer que ceux-là, bien souvent, reprenaient un intérêt progressif pour la Pologne lorsque, devenu libre, ce pays apparaissait bien plus « glamour » et entrait dans la prospérité.
Je reste donc persuadée que cette image de la Pologne – misérable ou à l’inverse prospère - est un facteur loin d’être négligeable dans le sentiment de fierté vis-à-vis de ses origines. En dehors de cela, bien sûr, on peut être fier de ses origines polonaises pour ses formidables personnages, en un mot sa Culture. Encore faut-il la connaître, cette Culture, cette histoire héroîque, tous ces personnages extraordinaires – qui d’ailleurs se proclamaient profondément polonais-patriotes, tels les plus connus Chopin, Marie Curie, Jean-Paul II. Malheureusement, hormis ces trois-là, dont le nom est connu du monde entier, beaucoup de Polonais ne se donnent pas la peine de découvrir et de faire connaître les innombrables personnages, à la fois universels et polonais, dont nous avons lieu d’être fiers. Vous en citez quelques-uns dans votre article. Je rajouterais quelques-uns qui me semblent primordiaux : Le formidable pianiste-concertiste Ignacy Paderewski, (lequel, en plus d’avoir été une véritable idole dans le monde entier avant-guerre pour ses concerts époustouflants, a œuvré sans relâche pour que la Pologne renaisse de ses cendres), ainsi que d’autres exemples : Le duc de Lorraine Stanislas Leszczynski, ex-roi de Pologne, formidable personnage à qui les Lorrains restent très attachés ne serait-ce que pour l’extraordinaire Place de Nancy qu’il a laissée pour l’éternité), ainsi que sa fille Marie, reine de France, épouse de Louis XV, si digne et généreuse que le peuple de France la vénérait. On peut rajouter aussi des scientifiques tel Copernic, et des écrivains Prix Nobel, tel Sienkiewicz, auteur de Quo Vadis, que bien des descendants de Polonais ignorent ! etc, etc…
Sur mon blog, « pologneimmortelle.com », j’essaie de leur accorder une place, particulièrement aux peintres polonais, pourtant bien connus de l’Europe à leur époque, et totalement tombés dans l’oubli. Si cette Culture polonaise « si riche et si méconnue » comme le disait Sienkiewicz en recevant son Prix Nobel, était un peu plus médiatisée et soutenue, alors là, oui, aussi bien les descendants enthousiastes que les pseudo-indifférents auraient des raisons d’être fiers. Très fiers…
(moi aussi, comme vous, j’ai dû découvrir toute cette Culture magnifique, par moi-même, pas à pas !)
Enfin, il n’y a pas, évidemment, que des personnages illustres dont on devrait être fier : Les innombrables ancêtres qui étaient des travailleurs, parfois illettrés, mais toujours si courageux, honnêtes, aptes à s’intégrer, méritent tout autant notre considération et notre fierté.
- Sur l’avenir de la Polonia. Il y aurait, si mes renseignements sont exacts – environ cinq cents associations franco-polonaises en France. Je ne doute pas qu’elles aient un noble but. Mais alors comment se fait-il que la Culture polonaise soit si ignorée, si oubliée, en France, comparée à celle d’autres peuples ? Je me suis souvent posé la question. Peut-être peut-on expliquer en partie cela par le fait, comme vous l’évoquez également, que beaucoup de descendants sont plus attachés à de gentilles fêtes avec repas et danses que par quelque chose de plus profond, marquant (même si je considère le folklore polonais comme un patrimoine admirable et donc source de fierté également, on ne peut se limiter à des fêtes).
Cependant, la raison de cette impossibilité d’avenir pour la Polonia, à mes yeux, c’est son manque d’ouverture. Je trouve aussi que la Polonia du Nord, notamment, (que vous-aussi, vous ne ménagez pas en général), est extraordinairement sectaire, ne voulant s’intéresser qu’aux descendants du bassin houiller. Mon expérience personnelle est bien décevante sur ce sujet.
Me souvenant comme ma chère mère, à son arrivée en Champagne, souffrant d’un isolement total, avait toujours envié et admiré cette Polonia du Pas-de-Calais qui, pour elle, perpétuait une « Petite Pologne », je me suis beaucoup intéressée à ce Centenaire de l’immigration », initié dans le Nord, qui vient de s’achever. Pour me rendre à l’évidence : Rien de ce qui concerne d’autres immigrés-travailleurs polonais (arrivés dans d’autres régions, à d’autres époques, ne semble les intéresser, seul revient en boucle le passé du bassin minier. Je ne minimise aucunement les vies dures des mineurs mais le sort d’autres travailleurs polonais immigrés s’avéraient, d’une autre manière, tout aussi cruel, surtout en raison de leur isolement et leur vulnérabilité.
Tant qu’il y aura un tel cloisonnement, un tel manque d’ouverture sur les autres, je doute qu’il y ait un avenir pour la Polonia en général. S’intéresser aux autres (sans pour autant oublier sa propre histoire) serait appréciable. (à noter à ce propos que les « plombiers polonais » arrivés récemment dans tous les coins de France ne mériteraient-ils pas aussi notre intérêt ? (Discutant souvent avec eux, j’ai pu constater qu’ils nous considéraient souvent, nous les descendants nés en France, comme des genres de dinosaures narcissiques ressassant toujours les mêmes idées sans s’ouvrir à d’autres).
Seule note d’espoir : Le cloisonnement, d’ordre social, qui paraissait séparer les émigrés polonais en deux blocs (d’un côté les intellectuels et milieux plus favorisés, et d’autre part les descendants de simples travailleurs) semble s’atténuer, réunissant parfois ces différentes couches sociales qui autrefois s’ignoraient).
Pour conclure sur ce sujet, voici un passage de mon dernier livre, intitulé « Une âme émigrée », dans lequel je décris pas à pas, la vie d’ouvrière agricole de ma mère, Youlka, et son amour pour la Pologne, et aussi son désir d’intégration dans cette France qu’elle aimait (mais certainement pas d’assimilation totale, tenant trop à conserver ses valeurs) :
« … les deux catégories d’émigrés polonais, avec leurs univers particuliers, se retrouvent, et c’est tant mieux même si c’est exceptionnellement. Car si ces deux classes d’exilés sont différentes ─ à certains égards presque aux antipodes l’une de l’autre ─ elles n’en ont pas moins en commun l’attachement immortel à la Pologne. Youlka, cette modeste ouvrière agricole, ne gardait-elle pas dans son cœur, à l’instar de Jean-Paul II ou de l’éminent poète Mickiewicz, « les champs argentés de seigle de son pays natal ? » Même si elle avait été marquée, indubitablement, par les inégalités profondes caractérisant la société polonaise de son enfance, elleconsidérait, au fond, tous les Polonais comme faisant partie d’une même grande famille, particulièrement les personnages réputés pour leur patriotisme et leur talent. Si quelqu’un s’était permis de parler d’eux en termes négatifs ou insultants, nul doute qu’elle se serait sentie touchée et indignée autant que si on l’avait attaquée en personne ! »
Ce sera ma conclusion. Bonne route à vous.
Françoise RENAUD (nom de plume Diane DUANER)