S'élever pour éviter le déclin
S’élever pour éviter le déclin !
Dans son éditorial du numéro 5 du magazine « Forum de la polonité » de juillet-août 1984, Jean Lesniewski, son fondateur, écrivait :
« Il est étonnant de constater que de nos jours encore, dans l’esprit de nos concitoyens, l’image traditionnelle des Polonais de France n’a pas ou pratiquement peu changée, variée depuis des années. A preuve : une réflexion d’un publicitaire, lorsque je le sollicitais pour une annonce dans Forum : « … quel intérêt ? Les Polonais n’ont pas un pouvoir d’achat élevé !... » Réflexion d’ignorance sans doute, mais combien révélatrice d’une tradition bien ancrée dans l’esprit des gens, et ce ci depuis plus de 60 ans ! Tradition que nous avons conservée par devant nous-mêmes, malgré notre désir forcené d’intégration.
Si intégration il y a, ce qui est certain, nous devons néanmoins donner une autre image de nous-mêmes, en fait, sortir de l’immobilisme qui caractérise encore aujourd’hui la communauté franco-polonaise. Car, ne l’oublions pas, une nation est constituée de groupes ethniques. Chacun et réciproquement y apporte sa culture, son travail, et sa différence. Si nous intégrons ce postulat, alors une grande partie du chemin sera fait, vers une reconnaissance mutuelle, ceci à une époque troublée par de graves problèmes socio-économiques »
Dans un dossier important consacré à l’immigration polonaise, le 24 décembre 1993, près de 10 ans plus tard, La Croix Nord-Pas-de-Calais donnait une page à Gabriel Garçon, qui concluait :
« Un danger réel réside donc dans le fait que chacun poursuive son action de son côté. Ce qui pourrait alors se produire est le déclin de la vie associative »
Dans ce blog en 2023, je multiplie, avec quelques amis de la Polonia, les réflexions et les propositions pour que l’immobilisme dénoncé par Jean Lesniewski il y a près de 40 ans, et le déclin annoncé par Gabriel Garçon il y a près de 30 ans ne soient pas inéluctables.
On me dira qu’ils se sont trompés, que les manifestations organisées pour célébrer le centenaire ont prouvé la vitalité de la Polonia française. Certes, en apparence, c’est vrai. Mais avec un minimum de lucidité et un peu d’honnêteté intellectuelle, on reconnaîtra que les manifestations,. en général, ont été vécues dans l’entre soi, fondées sur la reproduction de ce que l’on fait depuis toujours, sur le passé, la nostalgie, la fête et la nourriture traditionnelle. A l’heure de l’Europe, du renouvellement des générations et des pratiques sociales, de l’élévation du niveau culturel de la population, du développement de la communication et de la diffusion des savoirs de l’humanité, cette persistance ne peut pas ne pas inquiéter ceux qui se préoccupent de l’avenir de la société.
Sur 50 évènements analysés dans un site, seuls 4 peuvent être classés dans une rubrique « Evènements culturels » conçus pour intéresser tous les publics, ayant des racines polonaises ou non : exposition historique, conférence, concert… Tous les autres sont dans les catégories, souvent regroupées : messe, spectacle folklorique, banquet, bal, fête, marché certes ouverts à tous, mais on sait ce qu’il en est, ouverts aux anciens et aux jeunes, mais on sait ce qu’il en est aussi… Si un tel constat ne fait pas réfléchir, il y a de quoi désespérer de la nature humaine.
Plusieurs correspondants plaident pour un souffle nouveau pour la Polonia, pour une ouverture des programmes de festivités faisant une place plus large à la culture, à la musique, aux livres, aux relations avec la Pologne et avec les Polonais d’aujourd’hui, cherchant à intéresser tous les publics qu’ils aient un lien avec la Polonia ou non, qu’ils soient membres d’autres communautés issues d’immigrations ou français de souche, offrant la possibilité aux jeunes générations d’apprendre toujours, de découvrir, de partager, de s’élever, de penser.
Il serait peut-être temps au lendemain de la célébration du centenaire de donner une autre image de notre Polonia que l’image réductrice que l’observation de nos agendas peut donner à ceux qui n’ont aucun lien avec nos coutumes et à ceux qui viennent de Pologne et qui nous regardent parfois avec une certaine commisération.
La création d’un Institut national de la Polonia, guidée par l’intelligentsia issue de l’immigration, à la jonction du patrimoine, de la mémoire, de l’histoire, et du mouvement des idées, nous permettrait-elle de sortir du passé, de l’immobilisme et d’éviter le déclin ?
Le 21/05/2023 Pierre Frackowiak
Note : Le « forum de la polonité », ce magazine créé par Jean Lesniewski, il y a plus de 40 ans, avec beaucoup d’intelligence et une vision optimiste de l’avenir avait tenté de donner l’exemple. Il serait aujourd’hui sans aucun doute un site internet Voir le sommaire du numéro que j’ai entre les mains :
- Ces enfants de l’immigration qui ont « réussi » avec des portraits dont un, un cardiologue, a fait le choix de « trahir ses origines » Par Lise Wion
- Chronique musicale par Claire Collart
- A vu, regardé, écouté… des commentaires sur des émissions écoutées ou vues, par Lise Wion
- La communauté polonaise en France. Les naturalisations entre les deux guerres.
- Parlons polonais. Présentation d’un livre de Jean Lasek
- Sobieski, roi de Pologne et libérateur de Vienne, texte d’Edmond Marek
- D’où vient votre nom, une analyse de Christian Orpel
- Trois comptes rendus synthétiques sur des évènements (plus importants que l’annonce elle-même). Deux consacrés à des initiatives d’organisations non polonaises : Un salon du livre et une exposition Chopin et un article de E. Oszczak sur l’inauguration d’une avenue Lech Walesa à Rosny-sous-bois
Appel : si un lecteur du blog pouvait me dire ce qu’est devenu Jean Lesniewski que j’ai perdu de vue depuis longtemps déjà, que j’avais rencontré souvent au Conseil Régional alors qu’il voulait mon soutien pour obtenir une aide financière pour son magazine, difficile à décrocher d’ailleurs, tant les élus en général considéraient qu’il aurait fallu faire la même chose pour les autres immigrations.